L’immolation par le feu de Rémi L., hier à Mérignac, ranime les mauvais souvenirs de l’ère Lombard.
Un bouquet de fleurs dans un seau, quelques traces de fumée noire sur un grand mur beige sans fenêtre. C’était, hier après-midi, les seules marques encore visibles du geste désespéré de Rémi L., salarié de France Télécom-Orange et militant CFDT, qui s’est immolé par le feu tôt dans la matinée au pied d’un immeuble de l’entreprise, à Mérignac (Gironde). Agé de 57 ans, l’homme s’est suicidé vers 7 heures sur le site encore désert. Le premier employé est arrivé sur place un quart d’heure plus tard.
Désillusion. Aussitôt alerté, le siège parisien dépêche le directeur des ressources humaines, Bruno Mettling, et la directrice exécutive du groupe, Delphine Ernotte. Une visite rapide, d’abord à l’endroit où travaillait l’employé, puis là où il est passé à l’acte (son ancien lieu de travail). Avant un point presse dans une salle de réunion de l’hôtel Quality Suites, dans la zone aéroportuaire de Mérignac.
Visage grave et vêtue d’un long vêtement noir, Delphine Ernotte assure qu’elle est venue voir «les collègues et partager leur chagrin», affirmant qu’«une enquête sera diligentée avec les partenaires sociaux pour faire toute la lumière sur ce drame atroce». Rien, en revanche, sur le parcours professionnel du salarié. La directrice se contente de rappeler que les choses ont déjà changé, que «la nouvelle organisation se met en place, avec l’arrêt de la mobilité et la reprise des recrutements», mais qu’«on ne transforme pas une entreprise de 100 000 salariés comme France Télécom en quelques mois».
Pour Florence Baillard, responsable régionale CFDT qui l’a côtoyé au sein du syndicat, si Rémi L. n’a laissé aucun écrit, «beaucoup d’éléments laissent néanmoins penser que son geste est lié à son activité professionnelle». Le lieu du suicide, qui correspond à son dernier poste fixe au sein de l’entreprise, est en effet lourd de symboles. «Quand son poste de contrôleur de gestion a été supprimé en 2007, il a refusé de changer de département. Ils l’ont alors baladé pendant quatre ans de mission en mission.» Quatre ans pendant lesquels «il postulait sur d’autres postes sans jamais être retenu». Une période «qu’il a très mal vécue, et où il était manifestement en grande souffrance». Rémi est alors la victime type de la gestion Didier Lombard (ex-PDG), qui alliait coupes dans les effectifs et mobilité forcée.
L’homme souffre, mais tient bon. Et l’arrivée à la direction générale de Stéphane Richard, en mars 2010, va l’aider à s’en sortir. Le nouveau responsable de France Télécom-Orange développe les ressources humaines de proximité et crée des «préventeurs», en charge des risques professionnels dans l’entreprise. Une nouvelle fonction toute trouvée pour Rémi L., ex-élu CFDT au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et qu’il finit par obtenir, il y a six mois. «C’était un vrai soulagement, témoigne Florence Baillard. Il allait bien mieux et croyait vraiment à cette nouvelle affectation.»
Très vite, c’est la désillusion. Les accords sur la prévention des risques psychosociaux, signés au plan national, peinent à s’appliquer sur le terrain. «Il était très amer, avait l’impression que tout ceci n’était que de la poudre aux yeux.» Il vivait sa situation comme «un Don Quichotte épuisé de se battre contre des moulins à vent». Qui auront fini par l’emporter.
«Cynisme». Tout au long de la journée d’hier, responsables syndicaux, salariés ou anciens salariés sont venus spontanément devant le site, afin de «rendre hommage». Ainsi, cette petite femme frêle d’une cinquantaine d’années, accompagnée de son mari, qui s’approche doucement des grilles. Tremblante, elle se hisse sur ses talons pour regarder par-dessus, tente d’apercevoir quelque chose. Très émue, cette employée de France Télécom, qui préfère rester anonyme, ne connaissait pas personnellement Rémi L. Elle «[avait] dû le croiser» sur le site de Pessac, où elle travaille. Mais elle s’est reconnue dans son parcours. La gorge serrée, elle raconte «les méthodes de management qui détruisent les gens jusqu’à l’extermination, l’absence de suivi». Elle qui occupait un poste de responsabilité, il y a trois ans, s’est retrouvée déplacée du jour au lendemain, sans aucune justification. «Quand ça vous arrive, c’est une souffrance terrible. On culpabilise. On se pose des questions sur des objectifs qu’on n’aurait pas atteints, on essaye de comprendre. Depuis un an, j’allais mieux, je refaisais surface. Mais ce geste terrible, ça réveille des souffrances.» Jean-Paul Giudicelli, venu aussi «en soutien», dénonce, lui, le «cynisme» qui règne dans l’entreprise. Cet ancien employé de France Télécom, en procès avec le groupe, estime que «les conditions de management n’ont pas changé» depuis l’époque Lombard. Ce que confirme Patrick Monnier, responsable régional CGT, qui rappelle que les directeurs «sont toujours aux mêmes postes, même si on leur demande désormais de dire bonjour en arrivant le matin».
Deux rassemblements ont eu lieu hier ce matin, l’un à Bordeaux, sur le site où travaillait l’employé, l’autre à Mérignac, où il a mis fin à ses jours.
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