La gauche a une histoire. Elle a aussi des valeurs la vérité et la justice notamment. Elle veille à ce que la loi fixe des règles qui corrigent les inégalités et protègent ceux qu'un libéralisme excessif laisse démunis face aux plus forts.
S’il me semble bon de rappeler ici ces principes essentiels, c’est parce que je veille à ce qu’ils guident toute mon action. Il nous faut aussi nous y référer pour aborder la question de la loi Hadopi qui fait débat. Internet accompagne désormais la vie de tous les Français et transforme nos activités professionnelles, économiques, mais aussi notre accès à l'information, à la culture, à la connaissance. A l’heure où de nouvelles industries culturelles se développent sans cesse, il est temps de mettre en œuvre une politique cohérente et juste, qui fasse de la révolution numérique un vecteur d’émancipation individuelle et collective, un modèle de développement économique et une opportunité pour la culture.
La gauche a toujours soutenu la création artistique et les créateurs. Toute son histoire le rappelle. C'est à l'issue de la Révolution Française que l'indépendance des créateurs à l'égard des puissances d'argent a été conquise. C'est à l'époque du Front Populaire que la première ébauche du Centre National du Cinéma a été mise en place. C'est avec François Mitterrand que le compte de soutien audiovisuel et la taxation du chiffre d'affaires des télévisions pour financer la production audiovisuelle nationale, le prix unique du livre et la copie privée ont été décidées. C'est encore lui qui a conduit avec succès la bataille pour l'exception culturelle en 1993, laquelle a préservé les biens culturels de la libéralisation des marchés. Quant au combat, toujours d'actualité, pour que soient maintenus les dispositifs nationaux d'aide à la création, il s'est poursuivi sans relâche depuis au moins vingt ans, et Lionel Jospin y a largement pris sa part.
Pourquoi, aujourd'hui, la gauche manquerait-elle à cette tradition dont elle s'honore, alors qu'elle sait que les forces culturelles sont des forces de progrès, d'ouverture au monde et de liberté ? Elle reste fidèle à ses valeurs : la gauche soutient le droit des auteurs, tant moral que patrimonial, aujourd’hui comme hier. C'est, dans la lignée de Beaumarchais, frondeur et auteur contestataire,notre philosophie. Elle n'en changera pas. Disant que la jeunesse est aujourd'hui ma priorité, j'ai parlé d'une « génération création ». Je veux être cohérent avec ce choix.
C’est une formidable chance pour notre pays que de pouvoir produire et diffuser le travail de nos artistes et de nos créateurs – qu'il s'agisse de la musique, du cinéma, du livre, de la création numérique et des autres arts. Je soutiendrai tous les dispositifs qui nous permettent de défendre notre culture, mais aussi notre économie : soutien à la production et à la création, gestion collective des droits, adaptation et protection de la chronologie des médias, lutte contre les contrefaçons, rémunération pour copie privée, défense des plateformes numériques innovantes. Nous aurons besoin d'entreprises performantes, de réseaux puissants, de sociétés actives et vivantes pour défendre nos auteurs et les rémunérer justement. Nous avons besoin d'adapter notre législation pour prendre en compte les évolutions technologiques, si rapides que toute nouvelle loi est très vite obsolète. La télévision connectée demain, le rôle des fournisseurs d'accès, la place des hébergeurs, le développement du stockage de données numériques « dans les nuages », autant d’enjeux industriels et culturels majeurs qui constitueront nos priorités si la gauche vient aux responsabilités.
Ces rappels sont indispensables pour aborder sereinement la loi Hadopi, tant controversée. Elle a coûté cher sans permettre la transition des industries créatives vers le numérique. Elle n’a pas non plus financé de manière probante la création. Et, je l'ai déjà dit, je ne pense pas que la seule répression soit la réponse au problème posé, ni que le système imaginé, par sa complexité et les questions qu'il soulève en matière de protection de la vie privée, soit le bon. Je ne pense pas non plus qu'il faille opposer, comme l’actuel gouvernement le fait depuis cinq ans, les créateurs et leur public. Au contraire, par principe et par vocation, internet est leur espace commun.
Mais que les choses soient bien claires : pour moi, la protection des auteurs est également prioritaire. Nous ne considérons pas le piratage comme un problème mineur. Nous soutiendrons et rendrons plus efficaces les actions judiciaires visant à tarir à la source la diffusion illégale des œuvres protégées. Nous combattrons ces plateformes délocalisées et incontrôlables qui déversent des contenus culturels sur le réseau sans jamais participer à leur financement. De la même manière qu’on ne peut plus laisser prospérer un marché financier dérégulé, on ne peut pas non plus accepter un marché numérique sans maîtrise, dont toutes les parties, créateurs comme usagers, seraient finalement lésées.
Alors, quelle est la solution ? Faut-il privilégier les internautes ? Les ayants-droits ? L’innovation ? Il faut d’abord retrouver le chemin du dialogue. Il faut mettre tous les acteurs autour d’une table – ce que le gouvernement sortant n’a jamais fait. Je crois au dialogue, à la concertation, aux compromis. Qui ne sont, ni pour les uns, ni pour les autres, des compromissions. Il n’y a pas de solution simple, ni de réponse unique, il y a un modèle économique à inventer qui combinera plusieurs solutions et agrégera plusieurs types de financements. De ce dialogue naîtra ce que j’appelle l’acte 2 de l’exception culturelle.
Je cherche à rassembler les Français pour être plus forts, ensemble, face à la pression et aux difficultés de l'Europe et du monde. Les nouvelles industries créatives sont décisives pour notre avenir. Les pratiques culturelles évoluent chaque jour avec l'ère du numérique. Elles se démocratisent, se diffusent à des publics nouveaux et deviennent le lieu de nouvelles socialisations.
Par le dialogue et la concertation, par la gestion collective, par le soutien financier et juridique au développement de services en ligne légaux, par une adaptation des financements conduisant notamment à faire participer les acteurs internationaux qui bénéficient de la circulation des œuvres de l'esprit, par la mise en place d'un cadre juridique adapté à la lutte contre les services ou intermédiaires illégaux, ce nouvel acte que je propose tiendra compte des évolutions technologiques en restant fidèle aux principes qui permettent de soutenir les créateurs.
Bien entendu, la France ne devra pas mener cette politique seule. Il faudra tenir compte de l'évolution du cadre européen et prendre des initiatives, en particulier à Bruxelles. D'abord, pour préserver et étendre les contributions de ceux qui utilisent les contenus sans accepter de les payer. Ensuite, pour mettre en place des dispositifs juridiques fermes et qui ne livrent pas, sans armes, les plus faibles aux plus forts. La France proposera à ses partenaires d’organiser des Assises européennes des industries culturelles sur internet. Ne nous trompons pas d'adversaire. Dans ce domaine, comme dans d'autres, le libéralisme cache de puissants intérêts financiers. Les créateurs sont fragiles. Leur action dans notre société à la recherche de sens est primordiale ; elle n'est pas incompatible avec la présence d'industriescréatives puissantes et de jeunes entreprises numériques innovantes, parfois fragiles, elles aussi. Tous forment le socle sur lequel nous devons bâtir une France dont la culture continuera de rayonner à travers le monde. Je souhaite que la France retrouve la pleine expression de son rayonnement culturel et je salue comme un bel exemple le talent et le succès des créateurs du film The Artist. C'est un enjeu politique crucial, dont je mesure tout le prix et dont je me ferai le garant.
François Hollande
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