Nathalie Kosciusko-Morizet (alias NKM) ou l'art de faire à la
télévision ce qu'il ne faut pas faire en télévision en pensant faire de
la grande télévision : tel est le bilan du débat que l'ancienne
porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy a livré à Jean-Marc Ayrault,
Premier ministre et invité de l'émission de France 2, "Des paroles et des actes" jeudi soir.
NKM, comme beaucoup de politiques de sa génération, née avec et par
le petit écran, est affectée du syndrome de la télévision : elle pense
la maîtriser parce qu'elle est de son temps alors qu'elle en use comme
les bons communicants des années 70. Face à Jean-Marc Ayrault, NKM a
commis toutes les erreurs du débutant télévisuel fanfaron et a échoué
dans son offensive, la preuve en trois points.
1. Une anaphore compliquée et inadaptée
Lorsque NKM s'installe face au Premier ministre, dans le siège dévolu
au contradicteur politique de la soirée, l'ancienne ministre de Sarkozy
se lance dans un réquisitoire contre l'action de Jean-Marc Ayrault.
Elle entend démontrer que ce dernier est prisonnier des promesses de
campagne de François Hollande. Pour se faire, elle convoque une anaphore
à rebours, usant d'un récurrent "Vous, Premier ministre" afin de faire
écho au célèbre "Moi, président" hollandais et montrer que rien de ce
qu'avait promis "Moi, président" n'est tenu par "Vous, Premier
ministre". Se faisant, elle commet deux erreurs.
Sa
construction est alambiquée. Pour chaque argument, elle commence par
dire "François Hollande avait promis" avant d’enchaîner avec son "Vous,
Premier ministre" suivis d'interminables développements. C'est lourd et
indigeste, et cela tue l'effet de l'anaphore, qui doit être simple,
directe et brève dans la succession des interpellations pour être
efficace.
Son ton est bien trop sérieux. Prisonnière de son anaphore à double
détente, "François Hollande a promis"/"Vous Premier ministre", NKM a été
contrainte, à l'évidence, d'apprendre son texte par cœur. Du coup, elle
donne le sentiment, réel, de réciter sa leçon au Premier ministre comme
le ferait une élève de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur.
Appliquée et besogneuse, elle ne convainc pas. Ce choix compliqué, qui
la conduit à avoir l'air d'une élève appliquée mais guère brillante, est
en outre aggravé par son jeune âge et son physique de jeune femme
gracile (pas d’hypocrisie ici : oui, être une femme politique en
télévision est encore en 2012 un handicap cognitif initial, et il ne
suffit pas de le nier pour que ce phénomène disparaisse).
Recourir à une anaphore exige une posture martiale, une incarnation
quasi-ontologique de l'autorité, et c'est bien pour cela que le général
de Gaulle usait facilement de ce procédé. Or, NKM n'est pas en mesure de
répondre à ces deux exigences. Pour compenser ce handicap d'incarnation
politique (qui peut être injuste, on le concède) elle aurait dû user
d'une anaphore plus simple, et surtout afficher une insolente ironie,
mordante et distanciée, puisque tel était son but, ce qu'en règle
générale, elle réussit plutôt bien.
2. Des stratagèmes giscardiens des années 70
Décidée à montrer que Jean-Marc Ayrault est une marionnette victime
des promesses hasardeuses de la campagne Hollande, NKM sort un argument
massue : le mot "crise" n’apparaît pas dans la profession de foi du
premier tour de l'élection présidentielle du candidat socialiste. Et
pour appuyer son propos, elle brandit le document qui accuse, le
montrant ostensiblement à la caméra, façon "Regardez, je possède un
document accablant !"
Ce genre de procédés, brandir le Programme commun en 1974, ou le
projet socialiste en 1981 était l'une des plus grandes innovations du
grand communicant qu'était Giscard d'Estaing durant cette décennie qui
fut sienne. À l'ère d'internet et des réseaux sociaux, le procédé est
daté, et le ressusciter parait un peu désuet. Qui plus est, l'argument
est faible : l'absence du mot "crise" dans une profession de foi
électorale, que peu de Français lisent (hélas ?) ne symbolise pas une
menace impliquant d'exhiber ce document comme s'il s'agissait d'une
pièce ultra secrète bouleversant le cours d'un grand procès de Cour
d'assises.
Résultat : une fois encore, ce vieux truc, vieilli et fatigué, de NKM
se retourne contre elle. NKM fait "flop", ou "pschitt", si l'on
préfère... Comment a-t-elle pu imaginer une seule seconde qu'un procédé
aussi éculé, sur un symbole aussi peu évident pourrait encore
fonctionner à l'ère twitter et du fact-checking ?
3. NKM piégée par... Manuel Valls
A la fin de sa tirade initiale, NKM dénonce les couacs et divergences
entre ministres. Dans le lot, elle pointe particulièrement le duo
Intérieur/Justice constitué par Christiane Taubira et Manuel Valls. Sans
doute n'a-t-elle pas anticipé que la caméra de France 2, alors qu'elle
va évoquer ces deux noms, va les présenter en plan de coupe aux
téléspectateurs (la politique à la télé doit tout savoir, tout prévoir, y
compris le plan de table, et les plans de coupe que cela peut
occasionner).
Au moment où elle dénonce les mésententes Taubira/Valls, ces derniers
apparaissent à l'image. On découvre alors qu'ils sont hilares, semblant
se moquer de NKM. Au surplus, Valls (communicant professionnel, lui)
entoure de son bras bienveillant Taubira, après lui avoir pincé l'épaule
comme pour la réconforter, comme pour signifier "C'est pas grave, ce
n'est que NKM". La complicité Taubira/Valls, leurs sourires, l'étreinte
amicale, tout contredit la malheureuse NKM empêtrée dans sa pesante
anaphore et ses trucs de com' à la Giscard. C'en est même humiliant pour
NKM, tant le dédain amusé des deux ministres est ostensible,
constituant une arme de communication massive destructrice.
En un sourire, en un geste, Manuel Valls annihile la malheureuse NKM,
et dégage le terrain pour Jean-Marc Ayrault. Du grand art. Qui a dit
qu'une image valait mille mots ? Ce moment de télévision en apporte la
plus évidente des démonstrations.
Dès lors, le débat est terminé, il n'a pas besoin d'avoir lieu, et
les échanges qui suivront le premier échange NKM/Ayrault ne pèsent plus,
le rapport de force étant installé aux yeux du téléspectateur. Le chef
du gouvernement n'aura même pas besoin d'en faire trop, NKM ayant commis
en trois minutes trois grosses erreurs de communication télévisuelle,
sanctionnées par le sourire assassin de Manuel Valls, erreurs qui sont à
ce point élémentaires que l'on finit par se demander si cela ne trahit
pas un excès de confiance par rapport à la maitrise de l'instrument
télévisuel plutôt que la maladresse rafraichissante du néophyte.
Symboliquement, les erreurs télévisuelles de NKM l'ont amenée à
endosser le rôle de ce que les psychanalystes appellent la "petite fille
à la poupée". Voulant contester le pouvoir incarné par Ayrault, elle
s'en montre incapable, usant de procédés qui, paradoxalement, renforcent
symboliquement l'autorité de ce dernier considéré comme un "substitut
archaïque paternel" (comme disent encore les psychanalystes).
Ce n'est pas la première fois que l'on prend NKM en flagrant délit
d'immodestie débouchant sur un effet boomerang dans son rapport avec la
télévision. Quand comprendra-t-elle que c'est à elle de s'adapter à cet
instrument et non l'inverse ? Quand comprendra-t-elle que face à la
télévision, l'humilité est de mise ? La télévision, comme le disait
l'un de ses grands ancêtres fondateurs, "c'est un métier".
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