Au dessert, il adore plonger sa petite cuillère dans un pot de compote Andros, de celle avec des morceaux dedans, que l'on produit dans le Lot, tout près de sa Corrèze. Voilà quelques jours encore, il se ravitaillait lui-même dans sa supérette de quartier… Comme un homme normal.
La normalité érigée en argument de campagne, en marqueur symbolique de la rupture. L'idée aurait pu jaillir du cerveau d'un publicitaire ou d'un spécialiste en marketing politique. Elle est apparue par hasard dans le paysage électoral en novembre 2010. François Hollande, quelques amis socialistes et une poignée de journalistes se trouvent en Algérie où le futur candidat aux primaires citoyennes a prévu de rencontrer Ben Bella. La délégation fait étape à Notre-Dame d'Afrique qui vient d'être restaurée et célèbre la mémoire des moines de Tibhirine. En sortant de l'édifice religieux, François Hollande est interrogé par la presse sur les primaires et, en cas de victoire, sur la présidentielle. « Et c'est là que pour la première fois, il s'imagine publiquement en Président normal », se souvient Kader Arif, soutien de la première heure, ancien patron du PS de Haute-Garonne, député européen et sherpa du socialiste en Algérie. Hollande est un orfèvre dans l'art de la petite phrase, mais Arif est formel : « Ce jour-là, le concept fuse, mais il n'est pas encore théorisé et sa force de frappe politique potentielle non calculée. Une pensée brute et fugace sur la façon dont il pourrait habiter la fonction : sans bling-bling ni paillettes, sans intermédiaires pour prendre le pouls des Français et la température du pays. Le rapport à l'autre, c'est son carburant », conclut Kader Arif.
Les Corréziens qui l'ont croisé le samedi matin sur le marché de Tulle, les militants socialistes qui l'ont tutoyé dans les Fêtes de la rose, ou l'épicière de quartier qui n'a pas attendu l'entre-deux-tours pour lui vendre de la compote, ne diront pas le contraire. Sans doute a-t-il acquis auprès d'eux la certitude que son heure était venue, quand les élites parisiennes hors-sol ne misaient même pas sur sa qualification en finale des primaires citoyennes.
Cadre national du PS depuis 1997, candidat aux législatives sur la 9e circonscription de Haute-Garonne, Christophe Borgel se souvient du début de campagne présidentielle du candidat socialiste. « Pour faire pièce aux critiques selon lesquelles François Hollande n'avait pas la carrure d'un chef d'État parce qu'il n'avait jamais occupé de hautes responsabilités politiques, on lui a inventé un personnage de présidentiable à la Mitterrand, plutôt distant, installé dans un registre politique haut de gamme et parfois inaudible. Dès le mois de janvier, il est forcément redevenu lui-même », note Borgel, « c'est-à-dire un homme simple, détaché des avantages et des honneurs que procure le pouvoir. Rue de Solférino, n'importe qui entrait et sortait de son bureau. Quand Jospin l'occupait, on se faisait annoncer et on frappait trois fois avant de pousser la porte… ».
Ce bureau, Jean-Michel Baylet le connaît bien, pour y avoir passé de longues heures avec François Hollande lorsqu'il s'agissait, par exemple, de conclure des accords électoraux entre PS et PRG. Le patron des Radicaux peut ainsi témoigner que « le nouveau président de la République n'est ni mou, ni indécis. C'est au contraire un homme d'une grande détermination, et surtout, un homme de parole. Il ne m'a jamais raconté de balivernes, sauf lorsqu'après le temps du travail, venait celui des plaisanteries. François Hollande est un personnage joyeux dans l'âme. Dans la République, il en existe tellement qui se prennent au sérieux qu'une rencontre avec quelqu'un de normal est toujours agréable. Jean-Michel Baylet a également fait la longue campagne à ses côtés : « La dernière fois que je l'ai vu, c'était mercredi. Rien n'a changé, sauf peut-être nous-mêmes. Il reste François, c'est vrai, mais il est devenu le président de la République ».
Jean-Pierre Bel, un autre familier du prochain locataire de l'Élysée, partage avec François Hollande cette certaine idée de la politique : simplicité, fidélité, lucidité, au service d'un idéal, d'une ambition, d'une vision. « C'est assez extraordinaire de voir quelqu'un se hisser aux plus hautes fonctions et qui continue de se souvenir de ses amis », souligne le président du Sénat.
Et qui n'oublie pas d'où il vient. « Regardez-le. Même Président, il ne peut pas résister à aller au contact, serrer des mains. Parfois au mépris des règles de sécurité attachées à une fonction pas banale, occupée désormais par un homme normal », conclut Jean-Pierre Bel.
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