Après trop de heurts, la nomination de Christiane Taubira au poste de garde des sceaux devait répondre à la nécessité de voir à nouveau appliquer une politique pénale qui serait apaisée et imperméable à toute forme de démagogie. Cette seule promesse a suffi à certains esprits échauffés pour lui contester le droit d'occuper la charge qui est la sienne au gouvernement.
D'Eric Zemmour à Marine Le Pen en passant par Christian Jacob, il a été réuni, avec une rare violence et sur sa seule personne, ce qui a pu être écrit de plus bête et de plus vulgaire sur les femmes en politique et sur la gauche, dont le seul but serait de laisser les criminels en liberté. La palme revient à Jean-François Copé, pour qui "les gens ont voté Marine Le Pen (...) et on a Taubira à la justice".
Il faut cependant reconnaître aux contempteurs de Mme Taubira d'avoir perçu l'enjeu de la réorientation judiciaire de notre pays. En à peine cent jours, nous assistons à un redressement où la raison reprend le dessus sur l'émotion. Que l'on en juge : rétablir un ministère qui ne soit pas une simple annexe du ministère de l'intérieur était devenu une exigence. Si l'ordre public doit être assuré, ce n'est pas au détriment de l'équité et de la dignité. Ainsi, c'en sera probablement bientôt fini de la "rétention de sûreté", qui permet de maintenir en détention des personnes ayant purgé leur peine, sur la seule présomption des actes qu'elles pourraient accomplir.
Conformément aux engagements du président de la République, le garde des sceaux s'interdit toute intervention dans les affaires en cours. Les nominations de magistrats obéissent maintenant aux mérites des intéressés et aux recommandations du Conseil supérieur de la magistrature. Tout juste fallait-il qu'une forme de scandale cesse : à Nanterre, le procureur de la République qui incarnait une justice suspectée d'entretenir des liens incestueux avec le pouvoir politique a été déplacé à la Cour d'appel de Paris.
Sans dogme ni tabous, Christiane Taubira a choisi de redonner à la justice des mineurs toute la variété des mesures qui sont à sa disposition – sans imposer la systématisation de réponses univoques comme les centres éducatifs fermés.
Mais ce n'est pas l'essentiel. Mme Taubira a entamé un débat ardu sur le sens de l'incarcération, après des années de mensonges et de démagogie. Chacun sait que "la prison remplit la prison", de sorte qu'elle sert aux délinquants d'"école du crime". Cette tendance s'est aggravée depuis l'instauration des "peines planchers" en 2007, qui a rendu automatique le prononcé de peines d'emprisonnement ferme en cas de récidive, même pour la petite délinquance. Les résultats sont édifiants : la surpopulation carcérale a explosé en même temps que le nombre de peines non exécutées, faute de moyens et de place. Mais, aux yeux de l'opinion, l'essentiel était sauf puisque l'apparente sévérité de la justice pouvait être brandie en étendard.
Procès calomnieux
Pour changer cette inflexion, la ministre a déclaré qu'elle consacrerait ses efforts budgétaires au développement des services d'insertion et de probation, et qu'elle augmenterait le nombre de juges d'application des peines. S'il ne devait rester qu'une seule raison pour laquelle Christiane Taubira mériterait notre considération, ce sera bien celle d'avoir mis en exergue ce qu'il advient des condamnations après leur prononcé. Il s'agit du moment le plus déterminant de la chaîne pénale ; celui dans lequel se niche tant l'erreur que la récidive. La prison serait réservée à l'avenir aux personnes qui doivent être retranchées du corps social. Il s'agit d'une solution de sagesse, économe des moyens publics, et conforme au sens que l'on veut conférer à la sanction la plus sévère. Ce n'est pas là faire preuve de laxisme. C'est même l'inverse.
Les nostalgiques des effets d'annonce et des postures autoritaires ont donc des raisons de se déchaîner. Etaient-ils cependant obligés, pour contester une politique, de viser aussi bassement la personne qui la met en œuvre ?
En tant qu'observateurs, nous ne saurions rester muets sur la nature du procès calomnieux qui est fait à la ministre, sauf à s'en rendre les complices. Il n'y va pas seulement de l'honneur d'une personne injustement vilipendée ; il s'agit de refuser que la diffamation tienne lieu de discussion.
Patrick Klugman et Léon-Lef Forster, avocats à la cour
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