Le produit d’épargne préféré des Français fait l’objet d’une rude bataille. Depuis l’élection de François Hollande, banquiers et assureurs ont engagé une offensive tous azimuts contre l’une de ses principales promesses de campagne : le doublement du plafond du Livret A qui serait porté de 15 300 à 30 600 euros pour financer l’effort de construction de logements sociaux. Pareil pour le LDD (livret de développement durable, ex-Codevi) dont le plafond de dépôt passerait de 6 000 à 12 000 euros. L’objectif est de financer la réalisation de 150 000 logements HLM par an pendant le quinquennat, pour vaincre la pénurie d’offre locative à bon marché dans les grandes agglomérations, notamment en Ile-de-France.
Depuis toujours, l’argent du Livret A est le nerf de la guerre du logement social : 65% de la collecte est centralisée à la Caisse des dépôts. Cette épargne est ensuite prêtée à des taux avantageux aux bailleurs HLM qui réalisent des immeubles d’habitation, les loyers perçus servant à rembourser des emprunts souscrits sur des périodes de trente à cinquante ans. Le reste de la collecte (35%) demeure dans les caisses des banques.
Outre la construction de HLM, le doublement des plafonds des deux livrets servirait à financer les investissements des collectivités territoriales (tramways, équipements culturels et sportifs…) et à abonder financièrement la future BPI (Banque publique d’investissement) annoncée par Hollande et spécialisée dans des prêts aux PME qui peinent souvent à trouver des fonds pour se développer.
Le relèvement des plafonds aura-t-il lieu ?
Alors que nouveau chef de l’Etat, a pris ses fonctions à l’Elysée il y a quinze jours à peine, un bras de fer se joue déjà pour réduire à la portion congrue l’un de ses engagements. En coulisse, on songerait à présent à ne procéder qu’à une augmentation «par étape» des plafonds. Un petit relèvement interviendrait bel et bien cet été, mais le doublement serait étalé sur plusieurs années. «La ficelle est un peu grosse, fait observer un interlocuteur dans les milieux des HLM. Ils [les banquiers et les assureurs, ndlr] veulent étaler la mesure pour avoir le temps de mieux l’enterrer ultérieurement.»
Dès le lendemain de l’élection du nouveau président de la République, le patron du groupe BCPE (Caisse d’Epargne), François Pérol, avait donné de la voix, ne jugeant pas «très utile» le doublement. Puis c’est Frédéric Oudéa, président de la Fédération bancaire française (FBF) et patron de la Société générale, qui est monté au créneau pour expliquer qu’il y a déjà «beaucoup d’argent disponible pour le logement social». Faux si la barre des 150 000 HLM construits chaque année est atteinte (contre 110 000 en 2011) et si les pouvoirs publics veulent aider les collectivités territoriales à financer leurs investissements et les PME à se développer.
pourquoi les banques s’opposent-elles au relèvement DES PLAFONDS ?
Les banques et les assureurs craignent que le doublement du plafond n’incite les épargnants à se désengager de l’assurance-vie ou des autres placements bancaires (type livrets de banque fiscalisés) au profit du Livret A et du LDD dont la rémunération (2,25%) est nette d’impôts.
En fait, selon diverses études, la mesure ne générerait qu’un déplacement de fonds de 15 à 30 milliards d’euros, sur une épargne totale des ménages qui s’élève à 3 000 milliards d’euros. «A l’échelle des bilans des banques et des assureurs, cette mesure apparaît comme marginale», estime un banquier.
Cette offensive contre la revalorisation des plafonds se joue au grand jour et en coulisse. Depuis trois semaines banquiers et assureurs font le siège de Bercy où ils ont leurs entrées et où ils trouvent des oreilles attentives à leurs arguments. Une manière de marquer des points face au ministère du Logement qui a également son mot à dire dans ce dossier . «On sait parfaitement que les grandes manœuvres ont commencé dès lendemain de la présidentielle», affirme Thierry Repentin, sénateur (PS) de Savoie et président de l’USH (l’Union sociale de l’Habitat) qui fédère l’ensemble des organismes de HLM.
Quelles marges de manœuvre pour le ministère du Logement ?
Face à l’offensive des banquiers, la ministre du Logement, Cécile Duflot, a décidé de consacrer une grande partie de sa semaine à ce dossier. Hier, elle a reçu Thierry Repentin, puis Didier Ridoret, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), un secteur d’activité fort de 1,5 million d’emplois non délocalisables. Chaque logement construit est créateur de 1,5 emploi. Jeudi, la ministre ira à un rassemblement de sociétés de HLM à Paris et vendredi, elle doit rencontrer Antoine Gosset-Grainville, le directeur général adjoint de la Caisse des dépôts . Dans ce bras de fer, Cécile Duflot se fixe pour objectif de baisser à 0,3% le taux de rémunération des banques au titre de la collecte contre 0,5% actuellement, pour diminuer le coût de financement du logement social. Une réponse du berger à la bergère qui va faire hurler les banquiers.
Par TONINO SERAFINI pour Libération
Commentaires